La valeur de l’or en dollars a grimpé de 30 % depuis le début de l’année 2024, atteignant ainsi un record. Cette hausse représente la plus forte performance annuelle depuis 2007, et elle atteint même +60 % depuis 2022.
Cette flambée spectaculaire du prix de l’or suscite de nombreuses spéculations : faut-il craindre une nouvelle crise financière, ou bien l’évolution du marché de l’or peut-elle justifier cette augmentation exceptionnelle ? Dans cet article, nous allons analyser les raisons de cette hausse en examinant divers facteurs économiques, financiers et géopolitiques qui ont influencé l’or ces dernières années.
1. La tendance haussière de l’or : une dynamique de long terme
Depuis la fin de l’étalon or en 1971, le prix de l’or a été multiplié par 70, soit bien plus que le niveau de l’inflation sur la même période. Bien que l’or ait connu une période de « déclassement » entre 1980 et 2000, notamment en raison des ventes de réserves des banques centrales, il semble aujourd’hui regagner son statut d’actif monétaire majeur à l’échelle internationale. Ce retour en force de l’or reflète un changement dans les priorités des investisseurs et des institutions financières, particulièrement en période d’incertitude économique.
L'histoire récente montre que l'or tend à se valoriser lors de périodes de crise. Dans les années 1970 et 1980, la forte inflation avait stimulé la demande pour l’or, car les investisseurs cherchaient à protéger leur pouvoir d’achat. La crise financière de 2008 a également souligné le rôle de l’or en tant que valeur refuge, incitant les investisseurs à se tourner vers cet actif en période d'instabilité. Après une période de stagnation et de baisse de 2011 à 2016, l’or a retrouvé une tendance haussière qui continue encore aujourd’hui. La crise du COVID-19 en 2020 a marqué un pic important, et malgré une relative stabilité en 2021 et 2022, la tendance haussière semble s'accélérer depuis 2022.
2. Une demande accrue pour l’or physique
L'une des principales raisons de la hausse de l’or réside dans la forte demande pour l’or physique, notamment de la part des investisseurs privés. La demande pour l’or d’investissement depuis fin 2022 (lingots et pièces) a considérablement augmenté. Elle est passée de 78 tonnes à 364 tonnes en deux ans, soit une multiplication par 4,5, illustrant l'intérêt croissant des particuliers pour ce métal précieux.
En revanche, la demande des banques centrales, bien qu’encore très élevée, a ralenti depuis son sommet en 2022. Néanmoins, les banques centrales continuent d’acheter de l’or à des niveaux historiquement élevés, « anormaux ». Sur les deux dernières années, les banques centrales du monde entier ont accumulé plus de 2 000 tonnes d’or, ce qui témoigne d'une volonté de diversifier leurs réserves de devises. Les pays émergents, notamment la Chine, la Russie, l'Inde et la Turquie, ont été particulièrement actifs dans cette dynamique. Cette accumulation s’explique principalement par le besoin de réduire leur dépendance au dollar américain face aux sanctions financières internationales. En diversifiant leurs réserves en or, ces pays cherchent à se prémunir contre les risques liés aux devises occidentales.
Cette forte demande pour l'or physique, tant de la part des investisseurs que des banques centrales, crée une pression à la hausse sur les prix en raison de la rareté relative de ce métal. L'or est perçu comme un actif sûr et tangible, qui ne dépend pas de la politique monétaire d'une banque centrale et dont la valeur résiste et profite des fluctuations monétaires.
3. Une production aurifère record mais coûteuse
Selon le World Gold Council, la production d’or a atteint un niveau record au troisième trimestre 2024, atteignant près de 1 000 tonnes, dépassant ainsi le précédent record du troisième trimestre 2020. Cette augmentation de la production montre que les compagnies minières réagissent à la hausse des prix de l’or, car elles cherchent à maximiser leur profit en produisant davantage de métal. La bonne réceptivité de la production minière au prix de l’or suggère que le marché de l’or fonctionne bien. Les mines peuvent ainsi augmenter les capacités de production selon la demande, ce qui n’est pas nécessairement le cas sur d’autres marchés comme l’argent.
Cependant, les coûts de production ont eux aussi augmenté. Depuis 2016, les coûts liés à l'extraction de l'or se sont intensifiés, notamment en raison de la hausse des prix de l’énergie, de l'inflation générale et des réglementations environnementales plus strictes. Pour de nombreuses mines, la hausse du prix de l’or était essentielle pour compenser ces coûts de production croissants.
Si le prix de l’or était resté bas, plusieurs mines auraient dû réduire ou cesser leur activité, ce qui aurait réduit l’offre mondiale d’or. Le marché des contrats à terme sur l’or a également connu une activité intense, avec un volume de contrats ouverts au plus haut niveau depuis 2020. Cette activité sur le marché dérivé indique que les acteurs du marché anticipent des prix élevés pour l’or dans un avenir proche, ce qui soutient la demande actuelle pour l’or physique.
4. Les politiques monétaires et les taux d’intérêt
La politique monétaire des banques centrales, notamment celle de la Réserve fédérale américaine (Fed), a un impact majeur sur le prix de l’or. En réponse à l’inflation élevée, la Fed a relevé les taux d’intérêt à un rythme soutenu en 2022 et en 2023, dans le but de contenir la hausse des prix. En général, des taux d’intérêt élevés rendent les actifs sans rendement, comme l’or, moins attrayants, car les investisseurs préfèrent se tourner vers des placements qui offrent un rendement plus élevé et régulier, comme les obligations.
Cependant, dans ce contexte, la hausse des taux n’a pas eu l’effet escompté sur l’or, et pour plusieurs raisons. D’une part, la crainte d’une récession due au resserrement monétaire a poussé de nombreux investisseurs vers l’or, considéré comme un refuge en période d'incertitude. D’autre part, les taux d’intérêt réels, c’est-à-dire ajustés de l’inflation, sont restés relativement bas, ce qui n’a pas découragé les investisseurs de s’intéresser à l’or. En outre, depuis quelques mois, les banques centrales ont commencé à stabiliser, voire à abaisser leurs taux, un signal qui renforce l’attractivité de l’or.
5. L’instabilité (et la hausse) des marchés financiers
Les crises financières, les tensions géopolitiques et les bouleversements économiques créent souvent un climat d'incertitude, qui incite les investisseurs à se tourner vers des actifs refuges comme l’or. En août 2024, les marchés financiers ont connu une forte volatilité, et le VIX (l'indice de la peur) a atteint des niveaux comparables à ceux de 2020 et 2008, années de crises majeures. Ce stress sur les marchés financiers est exacerbé par des facteurs comme l'incertitude liée aux élections américaines de 2024, qui amplifie les spéculations sur la direction de la politique économique des États-Unis.
6. Les faillites bancaires et les tensions géopolitiques
La faillite de la Silicon Valley Bank (SVB) en mars 2023 aux Etats-Unis, et l’instabilité sur de nombreuses banques, a créé une onde de choc dans le secteur bancaire. Les faillites d’autres banques, comme Signature Bank et des tensions autour d’institutions régionales, ont fait craindre une contagion du risque dans le système financier. Cette situation de faillites, inédite depuis 2008, a poussé de nombreux investisseurs vers l’or.
En Europe, la crise de confiance autour de Credit Suisse, l'une des plus grandes banques suisses, a également secoué les marchés en mars 2023. Finalement reprise par UBS, l’incertitude générée par Crédit Suisse a renforcé la demande pour l’or. Les fantômes de 2008 hantent encore les salles de marché. Cette incertitude bancaire générale a renforcé la nécessité de trouver des actifs indépendants du système financier.
Les tensions géopolitiques croissantes depuis 2022 ont finalement alimenté des changements structurels en termes de géopolitique et de comportement des marchés. L’or profite classiquement des guerres en raison de sa qualité refuge et transnationale. Le risque de dérapage des conflits en Europe et au Moyen Orient, et la bipolarisation croissante du monde, a soutenu une demande monétaire et particulière pour les métaux précieux.
7. La dépréciation de l’euro et l'effet de diversification
Malgré un dollar relativement fort en 2022, celui-ci a montré des signes de faiblesse à mesure que la Fed approchait de la fin de son cycle de hausse des taux. Un dollar plus faible rend l’or moins cher pour les investisseurs étrangers, stimulant ainsi la demande mondiale. De plus, la volonté des investisseurs de diversifier leurs portefeuilles pour se protéger contre les fluctuations du dollar a contribué à soutenir le prix de l’or.
La montée des tensions entre les États-Unis et des puissances comme la Chine, sur des questions économiques et géopolitiques, accentue également l'intérêt pour l'or en tant qu'actif neutre. Dans un contexte où les actifs libellés en dollar sont perçus comme risqués, l'or apparaît comme un moyen efficace de diversification et de protection contre les risques monétaires. Néanmoins, l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis a renforcé la position du dollar et entrainé un repli du cours de l’or exprimé en dollars.
Symétriquement, le cours de l’or exprimé en euros est plus robuste car l’euro, plus instable que le dollar, se déprécie plus facilement. L’endettement croissant des pays et les niveaux records de déficit en Europe et aux Etats-Unis contribuent également à renforcer l’or. L’instabilité fiscale et budgétaire qui découle de ces déficits met à mal la confiance des agents dans l’Etat.
Que retenir ?
Plusieurs facteurs économiques, financiers et géopolitiques expliquent la flambée des prix de l’or. Depuis la fin de l’étalon or en 1971, l’or a connu une appréciation significative, notamment en période de crise, d’inflation ou de baisse des taux. Récemment, la demande pour l’or physique a augmenté, portée par les investisseurs privés cherchant à se couvrir contre les risques économiques et les banques centrales cherchant à réduire leur dépendance au dollar. La production aurifère a atteint un record en 2024, mais les coûts d’extraction élevés maintiennent une pression sur l’offre, soutenant les prix.
La politique monétaire de la Fed, marquée par des hausses de taux pour combattre l’inflation, n’a pas freiné l’attrait de l’or. Les taux réels restent bas, et l’or demeure une valeur refuge en cas de récession. De plus, les crises bancaires, comme celle de Silicon Valley Bank, et les tensions géopolitiques en Europe et au Moyen-Orient, alimentent l’incertitude, incitant les investisseurs à se tourner vers l’or.
Enfin, la dépréciation de certaines devises comme l’euro, et plus partiellement le dollar, renforce l’attractivité de l’or pour les investisseurs internationaux. En particulier, les tensions croissantes entre grandes puissances mondiales renforcent le rôle de valeur refuge et d’outil de diversification de l’or.
Au final, les records actuels de prix réel montrent que ce métal précieux occupe une place inédite dans le système financier mondial, faisant de lui une valeur incontournable dans les stratégies de gestion de patrimoine.