Depuis l’invasion de l’Ukraine il y a déjà trois ans, la Russie se trouve dans l’œil du cyclone financier. De nombreux États à travers le monde se sont accordés pour appliquer au pays de Vladimir Poutine divers types de sanctions pour affaiblir l’économie russe en limitant sa capacité à financer le conflit.
Mais si les principales sociétés pétrolières, banques, oligarques, personnalités publiques sont désormais frappées au portefeuille, il n’en reste pas moins que la Russie a des alternatives efficaces pour contourner toutes ces sanctions. L’utilisation de l’or physique fait partie de ces redoutables armes qui permettent à la Russie de stabiliser son économie face aux pressions extérieures.
SOMMAIRE DE L'ARTICLE :
- Un pays au stock d'or conséquent
- L'exploitation aurifère russe
- Le recours à l'or pour accentuer la dédollarisation de l'économie mondiale
- L'utilisation de l'or russe pour faciliter les transactions internationales
- L'alliance avec des Etats adeptes des transactions en or
Un pays au stock d’or conséquent
Il faut d’abord rappeler qu’historiquement, avant le conflit avec l’Ukraine, la Russie était une puissance détenant des réserves d’or déjà très importantes. Une stratégie indispensable pour s’émanciper de la dépendance aux devises occidentales et se prémunir contre les fluctuations du marché.
Même si la Russie reste discrète sur le sujet, au quatrième trimestre 2024, elle détenait près de 2340 tonnes d’or. Cela fait de ce pays le 5e plus important détenteur d’or des pays du G20 derrière les États-Unis, l’Allemagne, l’Italie et la France. À noter également que la Russie est devenue le premier acheteur souverain d'or au monde au cours de la dernière décennie.

Source : Tradingview
En parallèle, la Russie détient une quantité inconnue d'or et de pierres précieuses au sein d’un fonds d'État intitulé « Gosfund ». Or, depuis l'invasion de l'Ukraine, la Russie a régulièrement alimenté en or ce fonds, qui peut être utilisé à la discrétion de l'exécutif.
L’exploitation aurifère russe
Géographiquement, la Russie est le pays le plus important au monde, couvrant plus de 10% des terres émergées. Il s’agit d’un pays doté de ressources naturelles très conséquentes. On pense principalement au pétrole, au gaz, aux terres rares, mais également à l’or.
Si la Russie ambitionne depuis longtemps de devenir le premier producteur mondial d’or, elle peine à y parvenir et sa production nationale stagne. La faute à ses industries minières beaucoup trop dépendantes des équipements et des services occidentaux. C’est pourquoi le pays s’est rapproché de son allié chinois pour reconstruire sa chaîne d’approvisionnement et accélérer ses capacités d’extraction de l’or.
Il ne faut pas oublier également que la Russie détient toujours des participations importantes dans des industries aurifères situées dans plusieurs pays de l'ex-Union soviétique et dans plusieurs pays d’Afrique.
Le recours à l’or pour accentuer la dédollarisation de l’économie mondiale
Depuis plusieurs années, la Chine tente d’imposer sa monnaie, le yuan, comme une alternative au dollar américain dans les échanges internationaux. Pour accroître son emprise sur la zone Asie-Pacifique, la Chine peut déjà compter sur son allié de longue date, la Russie.
Ces deux pays se sont alliés autour de l’or pour contourner l’hégémonie du dollar. Pour cela, Russie et Chine renforcent leurs réserves d’or depuis des années. La Russie n’a d’ailleurs pas hésité à transférer une partie de ses réserves d’or vers la Chine après la mise en place des sanctions en 2022. En effet, les États peu scrupuleux cherchent à sécuriser leurs réserves d’or dans des lieux où elles ne peuvent pas être facilement saisies par les gouvernements occidentaux.
L’utilisation de l’or russe pour faciliter les transactions internationales
L’une des premières mesures prises contre la Russie après le début du conflit en 2022 a été de restreindre l’accès au système de paiement international connu sous l’acronyme « SWIFT ». Très pénalisant, Moscou a dû faire preuve d’ingéniosité pour poursuivre ses transactions internationales en toute discrétion. Des analystes spécialisés sur les flux monétaires ont notamment pu constater à cette époque d’importantes rentrées de dollars en Russie venant des États du Golf et de la Turquie en échange de métaux précieux comme l’or.
À titre d’exemple, les Émirats arabes unis (EAU) n’ont jamais accepté la mise en place de sanctions contre la Russie. Résultat, si en 2021, les EAU ont importé 1,3 tonne d'or russe, en 2022, ce chiffre atteignait 75,7 tonnes (soit 4,3 milliards de dollars de l’époque).
L’alliance avec des États adeptes des transactions en or
Nécessité faisant loi, et afin de financer sa guerre, la Russie s’est rapprochée de pays comme la Corée du Nord (envoi d’armes et soldats sur le front) et l’Iran (envoi de drones).
Si l’on prend l’exemple de son allié iranien justement, ce dernier subit des sanctions américaines depuis des décennies. L’Iran n’a donc pas hésité à utiliser l’or physique pour contourner l’embargo pétrolier en échangeant de l’or avec certains pays comme Dubaï et la Turquie. Cette stratégie dite du « gold-for-oil » a permis à l’Iran de récupérer près de 20 milliards de dollars en quelques années malgré les sanctions.
La Russie étant elle-même l’un des premiers producteurs d’or noir au monde, elle détient une flotte de navire fantôme qui sillonne les mers pour vendre son pétrole. Il ne fait guère de doute que l’or constitue également un moyen de transaction efficace pour échapper aux contrôles.
Conclusion
Avec les nombreuses sanctions internationales en cours, la Russie n’a eu d’autre choix que de faire travailler son or au service de ses ambitions. Cela a permis de maintenir sa stabilité économique et poursuivre ses transactions internationales, indispensable notamment pour financer sa guerre.
La Russie s’est donc tournée vers des marchés non alignés sur les sanctions en renforçant ses alliances stratégiques. Le métal doré de par sa valeur universelle et la difficulté à le tracer totalement est donc l’arme du crime parfaite.
Pour autant, la pression internationale s’accroît d’année en année pour mieux contrôler ces flux financiers et monétaires. On peut notamment citer les initiatives internationales comme le GAFI (Groupe d’Action Financière) et l’OCDE qui renforcent les réglementations contre le blanchiment d’or.
Il y a également une pression accrue sur les plaques tournantes comme les Émirats arabes unis. Si ces derniers ont été retirés, en février 2024, de la liste grise du GAFI pour leur rôle dans le commerce de l’or illégal, les autorités européennes classifient toujours l’EAU comme « pays à risque ».
Par Sébastien Gatel
Diplômé en droit et en finance de marché, Sébastien a exercé dans des institutions financières et en gestion de patrimoine pendant de nombreuses années. En parallèle, il intervient dans différents médias à destination des professionnels et des particuliers pour décrypter l'actualité financière et vulgariser des questions relatives aux placements et aux investissements.