L’année 2024 restera gravée comme une période exceptionnelle pour les métaux précieux, en particulier l’or, dont la valeur en dollars a bondi de près de 30 %. Cette progression marque la plus forte hausse de l’or depuis 17 ans. Le cours de l’argent, bien qu’historiquement plus volatil, a également suivi cette tendance spectaculaire, réalisant sa meilleure performance depuis 2020.
Mais comment expliquer cet ajustement aussi significatif ? Et surtout, cette dynamique haussière se poursuivra-t-elle en 2025 ? Alors que l’or et l’argent sont largement influencés par les incertitudes mondiales, les tensions sur les chaînes d’approvisionnement minières, ainsi que les politiques économiques et monétaires, ces facteurs continueront-ils d’exercer leur influence ?
La valeur réelle de l’or au plus haut depuis 1980 !
L’année 2024 a vu la valeur réelle de l’or (ajustée de l’inflation) atteindre des sommets proches de son record de 1980. En d’autres termes, l’or n’a jamais été aussi coûteux en termes de pouvoir d’achat. À cette époque, le cours de l’or avait culminé à près de 2 750 $ l’once (en dollars constants de 2024), un niveau qui pourrait être franchi dans les mois à venir.
Source : Gold Prices - 100 Year Historical Chart | MacroTrends
Cependant, contrairement à l’envolée rapide des années 1970-1980, la hausse actuelle du cours de l’or résulte d’une revalorisation progressive amorcée il y a deux décennies. L’effervescence spéculative qui avait caractérisé la fin des années 1970, avec des files d’attente interminables devant les magasins de métaux précieux, est aujourd’hui moins visible. La demande est désormais principalement soutenue par les banques centrales, qui ont massivement accru leurs réserves d’or en réponse aux incertitudes géopolitiques et économiques.
De plus, la demande d’or destinée à la bijouterie et à l’investissement (pièces, lingots…) connaît des fluctuations positives, mais les quantités demeurent comparables sur dix ans. Il faut également remarquer la stabilité de la valeur de l’or face à des actifs dont l’inflation a été en quelque sorte « sous-estimée » par les changements de consommation. Ainsi, la valeur présente d’une maison ou d’un vélo exprimée en or reste à peu près équivalente à celle des années 1970.
Les prévisions des grandes banques
Dans sa dernière étude fin 2024, Goldman Sachs prévoit que l’or atteindra 3 000 $ l’once d’ici fin 2025. Cette tendance serait soutenue par les achats massifs des banques centrales, notamment dans les marchés émergents. Depuis 2022, Goldman Sachs souligne ainsi que ces acquisitions ont redéfini la relation traditionnelle entre les taux d’intérêt et le prix de l’or. Alors que l’or est historiquement moins attractif lorsque les taux sont élevés, les achats de banques centrales ont significativement fait grimper sa valeur.
De plus, l’endettement américain, atteignant 124 % du PIB, inquiète les investisseurs et pourrait encourager une diversification accrue hors des obligations américaines. À mesure que les taux d’intérêt diminuent, Goldman Sachs s’attend à un regain d’intérêt des investisseurs occidentaux pour les ETF liés à l’or, renforçant ainsi la demande mondiale et stimulant davantage les prix.
De même, UBS, le géant bancaire Suisse (et acteur mondial majeur sur l’or), maintient une vision favorable sur le cours de l’or. D’après UBS, cette progression de l’or est liée à la victoire de Donald Trump aux Etats-Unis, alimentant des anticipations d’inflation élevée, un ralentissement de la croissance mondiale et de baisses des taux d’intérêt.
La banque Suisse souligne également que l’or continue de jouer un rôle de couverture et de diversification contre les incertitudes économiques et géopolitiques. L’augmentation de 5 % sur un an de la demande mondiale au troisième trimestre 2024 et la reprise des achats d’ETF par les investisseurs occidentaux alimente l’optimisme des grandes banques. UBS prévoit un prix cible de 2 900 $ l’once d’ici septembre 2025, soutenu par une victoire de Trump.
Un marché de l’or dynamique, porté par l’appétit des investisseurs
Les principales composantes de la demande d’or, c’est-à-dire essentiellement l’investissement et la bijouterie, montrent un dynamisme clair du marché de l’or sur la deuxième moitié de l’année 2024. Le niveau élevé de la demande d’or confirme que la hausse du prix de l’or n’a pas freiné cette demande. Par conséquent, cette dynamique permet le maintien durable des cours de l’or sur les niveaux élevés atteints ces derniers mois.
Source : Gold Price Performance & Data | World Gold Council
De leur côté, les banques centrales continuent d’accumuler de l’or. Si ce rythme d’accumulation reste important, il est néanmoins plus faible qu’en 2022. Au troisième trimestre 2024, la Pologne, la Hongrie et la Turquie ont ainsi ajouté près de 70 tonnes d’or à leurs réserves. D’autres pays, comme le Kazakhstan ou les Philippines, ont réduit leur stock d’une quinzaine de tonnes au total. Cette demande dynamique, mais non exacerbée, atteste de la bonne santé du marché de l’or.
Vers une année 2025 à haut risque ?
La performance annuelle de la bourse américaine, et en particulier de l’indice S&P 500, a atteint près de 29 % en 2024. Cette année fait suite à une année 2023 déjà particulièrement haussière (+24 %). Dans ce contexte, de nombreux gestionnaires soulignent qu’une telle hausse des marchés financiers est souvent suivie d’une année de stagnation ou de correction.
Cette situation fait transparaître les deux propriétés fondamentales de l’or d’investissement. D’une part, l’or est plutôt positivement corrélé aux indices boursiers sur le long terme. Comme nous l’observons en 2024, l’or et le S&P 500 ont tous deux progressé d’environ 30 %.
D’autre part, l’or a souvent tendance à bien performer lors des phases de correction des marchés boursiers, surtout si ces dernières sont accompagnées d’une récession. Ainsi, le rôle d’actif défensif de l’or reste un élément essentiel pour les investisseurs cherchant à se prémunir contre les incertitudes économiques.
Source : Real Gross Domestic Product (GDPC1) | FRED | St. Louis Fed
Les risques économiques qui se profilent en 2025 sont multiples. D’abord, le retour potentiel du chômage inquiète. Bien que l’emploi soit resté très résilient aux États-Unis et en Europe en 2024, une dégradation pourrait survenir rapidement en l’espace de quelques trimestres. Ensuite, la croissance économique américaine se maintient à un niveau particulièrement élevé, et sur une durée sans précédent depuis au moins 2006. Si l’économie se porte bien aujourd’hui, les indicateurs penchent néanmoins vers un risque accru de ralentissement. Ces évolutions devront être suivies de près.
Stratégies et évènements à suivre en 2025
Les décisions des banques centrales et la politique monétaire mondiale
Les orientations des grandes banques centrales joueront un rôle clé en 2025. Il s’agit principalement de la Réserve fédérale américaine (Fed), de la Banque centrale européenne (BCE) et de la Banque populaire de Chine. Bien que l’inflation continue de peser aux États-Unis et plus modestement en zone euro, les banques centrales pourraient poursuivre des politiques monétaires d’assouplissement, de baisse des taux, voire de relance. Si le rythme de baisse des taux est déjà bien avancé aux États-Unis et en Europe, il devrait se poursuivre en 2025. La baisse des taux a été un des catalyseurs importants de la hausse du cours des métaux précieux cette année.
Une politique de relance monétaire en Chine aurait certainement des effets similaires avec un gonflement du bilan de la Banque populaire de Chine, et symétriquement, une augmentation de ses avoirs en or et de la demande des particuliers. Par conséquent, la politique monétaire des banques centrales pourrait encore exercer une pression haussière sur l’or, car des rendements obligataires plus bas augmentent l’intérêt de détenir de l’or. Par ailleurs, un ralentissement économique pourrait pousser les banques centrales à adopter une politique encore plus accommodante, ce qui profiterait à l’or et à l’argent en tant que valeurs refuges.
Les tensions géopolitiques
Les conflits internationaux et les tensions géopolitiques, notamment en Europe de l’Est, au Moyen-Orient ou en Asie-Pacifique, pourraient intensifier la demande pour l’or et l’argent. Comme ce fut le cas en 2024, l’instabilité politique et l’incertitude qui en découle incitent les investisseurs à se tourner vers des actifs tangibles et stables. L’année 2025 sera riche en rebondissements géopolitiques avec le retour de Donald Trump aux États-Unis et l’avancement de nombreux conflits internationaux.
Les avancées technologiques et la demande industrielle d’argent
L’argent, contrairement à l’or, a une utilité industrielle essentielle. Le rebond de la demande d’argent ces dernières années est entretenu par les technologies liées aux énergies renouvelables et aux semi-conducteurs. Rappelons en effet que l’argent est le meilleur conducteur d’électricité.
Le marché de l’argent connaît encore aujourd’hui un déficit d’offre considérable. Pourtant, cela ne semble pas se refléter entièrement dans les cours. En 2025, l’accélération des investissements dans la transition énergétique, notamment dans les panneaux solaires et les batteries, pourrait faire grimper la demande pour l’argent. Les gouvernements et les entreprises du monde entier misent sur la réduction des émissions de carbone, ce qui pourrait faire persister des pressions haussières sur le cours de l’argent.
De même, les coûts de production élevés observés sur l’or ont participé à cet ajustement haussier important. Les compagnies minières aurifères devraient profiter de cette ascension de l’or pour retrouver des marges qui étaient restées compressées ces dernières années.
Les fluctuations du dollar américain (et de l’euro)
Enfin, rappelons que l’or et l’argent ont une relation inverse avec le dollar américain. Ainsi, un affaiblissement du dollar (ou de l’euro pour les investisseurs européens) entraîne généralement une augmentation du cours des métaux précieux, car ils deviennent plus attractifs pour les détenteurs d’autres devises. En 2025, la direction que prendra le dollar dépendra de nombreux facteurs, notamment les décisions budgétaires aux États-Unis, le niveau de la dette publique et les politiques commerciales.
Sur l’année 2024, l’euro a cédé plus de 4 % face au dollar, ce qui a entraîné une plus grande appréciation de l’or en euros. Cet affaiblissement de l’euro intervient avec l’optimisme entraîné par l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche.
En outre, les politiques économiques plutôt agressives de Donald Trump pourraient entretenir des pressions inflationnistes et le maintien de taux élevés. En l’absence de rebond significatif de l’inflation, cela pourrait entraîner une hausse durable du dollar. À l’inverse, une déception liée à un ralentissement économique pourrait compliquer la relance de l’économie américaine et réduire les espoirs de hausse du dollar.
L’argent bientôt vers des records similaires ?
Le cours de l’argent reste plus instable que celui de l’or, en raison de son caractère hybride : à la fois métal précieux (lingots, pièces…) et matière première industrielle. Sa valeur réelle a atteint son plus haut niveau en dix ans, mais elle reste loin des records de 2011 (60 $ l’once en dollars constants) ou de 1980 (140 $). Retrouver ces niveaux équivaudrait à un quasi-doublement de la valeur actuelle de l’argent.
Source : Prix de l'argent - Graphique historique sur 100 ans | MacroTrends
En dépit de cette instabilité, la tendance haussière sur l’argent est soutenue par une demande structurelle croissante. En l’espace de dix ans, l’essor des panneaux photovoltaïques a accentué les pressions sur un marché déjà en déficit d’offre. L’année 2025 pourrait ainsi marquer un tournant décisif pour ce métal essentiel à la transition énergétique mondiale. De plus, l’argent peut apparaître comme un outil de diversification essentiel en portefeuille (achats de pièces, de lingots…).
Conclusion
L'année 2024 a confirmé le rôle central des métaux précieux, notamment de l’or et de l’argent, dans un contexte géopolitique incertain. La performance exceptionnelle de l’or, atteignant une hausse de près de 30 %, et celle de l’argent, témoignent d’un intérêt accru des investisseurs pour ces actifs refuges. Cette tendance haussière est alimentée par plusieurs facteurs : les politiques monétaires accommodantes des grandes banques centrales, l’accumulation d’or des institutions monétaires, les tensions géopolitiques persistantes, et la demande industrielle croissante, particulièrement pour l’argent.