Depuis le XIXe siècle, l'or a joué un rôle central dans le système monétaire international. Abandonné progressivement au profit des monnaies fiduciaires et du dollar américain, l'or a pourtant connu un retour en force dans les réserves des banques centrales au cours des dernières décennies. Pourquoi les banques centrales adoptent désormais une politique de « retour à l’or » ?
Ce revirement s'explique par des dynamiques économiques et géopolitiques qui ont incité les États à se reconstituer d'importantes réserves en métal jaune. Cet article retrace l'histoire de ce mouvement, des ventes massives des années 1990 au retour à l'or dans les années 2010, en passant par les achats records des dernières années.
SOMMAIRE DE L'ARTICLE :
- L'abandon de l'étalon-or et les ventes massives des années 1990
- Changement de paradigme dans les années 2010
- "Retour à l'or" : une insuffisance du système monétaire ?
- Les pays détenant le plus d'or
- Les achats massifs récents des banques centrales
- L'or dans les banques centrales sous l'étalon-or
L'abandon de l'étalon-or et les ventes massives des années 1990
L'étalon-or, qui a dominé le système financier mondial jusqu'à la première moitié du XXe siècle, était un régime monétaire dans lequel la valeur des monnaies était directement liée à un stock d'or détenu par les banques centrales. Après la Seconde Guerre mondiale, le système de Bretton Woods (1944) a maintenu un lien indirect avec l'or, le dollar étant convertible en or à un taux fixe de 35 $ l'once. Cependant, en 1971, sous la présidence de Richard Nixon, les États-Unis ont suspendu cette convertibilité, mettant ainsi fin à l'étalon-or et amorçant l'ère des monnaies fiduciaires flottantes.
Dans les années 1990, les banques centrales ont massivement vendu leur or, le considérant comme un actif obsolète ne rapportant aucun intérêt. Le Royaume-Uni, sous la direction de Gordon Brown, a vendu près de 400 tonnes d'or entre 1999 et 2002, soit environ 60 % de ses réserves, à un prix moyen de 275 $ l'once, bien en dessous des prix actuels. D'autres banques centrales, notamment en Europe et au Canada, ont suivi le mouvement, réduisant leur exposition à l'or pour augmenter leurs avoirs en dollars et obligations d'État.
Changement de paradigme dans les années 2010
Avec la crise financière de 2008 et l'instabilité économique qui a suivi, la perception de l'or a commencé à changer. Les banques centrales ont progressivement cessé de vendre leurs réserves et certaines ont recommencé à acheter de l'or pour se protéger contre l'inflation et les fluctuations des devises.
Entre 2010 et 2020, la demande d'or des banques centrales a fortement augmenté. Des pays comme la Chine, la Russie et l'Inde ont commencé à accumuler de l'or pour diversifier leurs réserves et réduire leur dépendance au dollar américain. Alors que la demande d’or des banques centrales n’était que de 80 tonnes en 2010, elle progresse tout au long de la décennie. En 2018, les banques centrales ont acheté plus de 650 tonnes d'or, le niveau le plus élevé depuis la fin de Bretton Woods. Ce phénomène peut s’expliquer par des raisons géopolitiques immédiates : arrivée de Trump et nécessité de retrouver une forme d’indépendance, politiques monétaires très accommodantes avec le quantitative easing, etc.

Ce graphique illustre parfaitement la montée en puissance des achats d’or des banques centrales. Malgré un creux en 2020, les achats d’or des banques centrales ont culminé en 2022. Ce revirement de doctrine monétaire, après avoir « enterré » l’or dans les années 1990, a aussi eu pour effet d’amplifier la hausse du cours de l’or ces 20 dernières années.
« Retour à l’or » : une insuffisance du système monétaire ?
Depuis la crise financière de 2008, les banques centrales ont massivement augmenté la taille de leur bilan à travers des politiques d'assouplissement quantitatif. La Federal Reserve (FED) est passée d'un bilan d'environ 900 milliards de dollars en 2008 à plus de 9 000 milliards de dollars en 2022. De même, la Banque centrale européenne (BCE) a vu son bilan passer de 2 000 milliards d'euros à plus de 8 000 milliards d'euros au cours de la dernière décennie.
Dans ce contexte d'impression monétaire massive, l'or est redevenu un actif stratégique pour les banques centrales, servant de garantie pour renforcer la confiance des marchés financiers. L'or est classé comme un actif de niveau A1 dans la réglementation de la BCE, ce qui signifie qu'il est considéré comme un actif répondant aux plus hauts standards de liquidité et de sécurité. Contrairement aux obligations souveraines, l'or ne porte aucun risque de contrepartie. Cela rend l’or particulièrement attractif en période de crise économique et monétaire.
Ainsi, les banques centrales ont donc intensifié leurs achats d'or ces dernières années afin de renforcer la base de leur bilan et préparer une éventuelle transition vers un système monétaire plus diversifié face à la volatilité des actifs traditionnels (comme les obligations). Cette stratégie traduit une méfiance croissante envers la domination du dollar américain et une volonté de diversifier les réserves internationales.
Les pays détenant le plus d'or
Les pays détenant les plus grandes réserves d'or sont les pays Occidentaux. Il s’agit principalement des Etats-Unis, de l’Allemagne, de l’Italie et la France, dont l’importance de l’or au cours du XIXe siècle dans ces pays semble toujours expliquer la quantité élevée du métal précieux dans leurs coffres.
Ce stock d’or devient encore plus significatif à l’échelle de la zone euro. En effet, si nous considérons le stock d’or à l’échelle de la zone euro, cela équivaut à un stock de plus de 10 000 tonnes d’or. Le premier stock d’or monétaire serait donc européen. Si le stock d’or absolu, en tonnes, est important pour asseoir l’hégémonie monétaire d’un pays, il est aussi intéressant de remarquer quel est le poids de l’or par rapport aux réserves de change détenues. Les principaux stocks mondiaux sont :
* ÉTATS-UNIS : 8 133 tonnes d'or (environ 68 % de leurs réserves de change)
* ALLEMAGNE : 3 355 tonnes (68 % des réserves)
* ITALIE : 2 452 tonnes (66 % des réserves)
* FRANCE : 2 437 tonnes (65 % des réserves)
* RUSSIE : 2 299 tonnes (24 % des réserves)
* CHINE : 2 113 tonnes (4 % des réserves)

Source : Central Banks Gold Reserves by Country | World Gold Council
D’après cette liste du World Gold Council, ce sont les Etats-Unis qui détiennent le plus d’or en proportion de leurs réserves de change, suivi de l’Allemagne, de l’Italie et de la France. Au sein d’une économie, les réserves de change sont des réserves en devises étrangères qui permettent au pays d’assurer les paiements extérieurs (commerce extérieur, flux financiers…). Un poids important de l’or traduit la volonté du pays d’asseoir ses relations avec l’extérieur, et de détenir un actif stable et reconnu.
Par conséquent, les pays européens conservent une part élevée d'or dans leurs réserves. Le stock d’or de la Chine paraît donc bien petit par rapport à ses réserves de change et à la taille de son économie. En effet, l’intérêt de la Chine pour l’or est relativement récent et l’Empire du Milieu ne dispose pas d’un héritage monétaire suffisant. De ce fait, la Chine et la Russie cherchent à accroître leur stock d'or pour limiter leur exposition au dollar, et « entrer dans la cour des grands ».
Les achats massifs récents des banques centrales
Les bouleversements récents, à la fois causés par la crise de la COVID qui a mené à l’expansion du bilan des banques centrales, et par le retour des guerres, ont provoqué un retour massif de l’or dans la stratégie des banques centrales.
Les années 2022 et 2023 ont vu un intérêt renouvelé pour l'or de la part des banques centrales. Selon le World Gold Council, en 2022, les banques centrales ont acheté 1 136 tonnes d'or, un record historique. En 2023, cette tendance s'est poursuivie avec environ 1 037 tonnes d'achats nets. Les principaux acheteurs ont été :
* LA CHINE : la Banque populaire de Chine a ajouté plus de 225 tonnes d'or en 2023.
* LA TURQUIE : en 2022, la Turquie a acheté 148 tonnes, poursuivant son effort de diversification.
* LA RUSSIE : avec les sanctions occidentales, la Russie a augmenté ses réserves en or pour compenser l'exclusion de son système bancaire des marchés financiers internationaux.
Cette accumulation massive d'or révèle une stratégie des banques centrales visant à se défaire de la domination du dollar américain et à renforcer leurs réserves face à un environnement économique incertain.
L'or dans les banques centrales sous l'étalon-or
Sous l'étalon-or, les banques centrales étaient tenues de détenir d'importantes réserves d'or pour garantir la convertibilité de leur monnaie. Jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, la majeure partie de l'or était stockée aux États-Unis et au Royaume-Uni, servant de base à la stabilité monétaire mondiale.
Les accords de Bretton Woods ont consolidé ce système en liant le dollar à l'or et en faisant de la monnaie américaine la référence internationale. Dans ce système, toutes les autres monnaies étaient indexées sur le dollar, qui servait de référence mondiale. Les banques centrales accumulaient des réserves en dollars, sachant que celles-ci étaient censées être convertibles en or. Ce système assurait la stabilité des taux de change, mais était aussi limité par la disponibilité de l'or. La montée des dépenses publiques et des déficits commerciaux des États-Unis ont rendu difficile la soutenabilité de la convertibilité, menant à l'effondrement du système en 1971 lorsque Richard Nixon a suspendu cette convertibilité.
Aujourd'hui, bien que l'or ne soit plus directement lié aux monnaies, il reste un actif stratégique essentiel pour les banques centrales. Son rôle en tant que valeur refuge et sa capacité à préserver la richesse face à l'inflation expliquent pourquoi il est redevenu un pilier des réserves nationales.
Conclusion
L’or semble revenir en force dans le système monétaire. Depuis la fin de l’étalon-or, l’or avait été délaissé par les banques centrales, qui jugeaient l’or comme un actif « dépassé » et n’apportant que des contraintes physiques (stockage des lingots, etc.). Mais les ventes d’or dans les années 1990 ont laissé place aux achats massifs des dernières années. Il s’agit d’un véritable changement de doctrine monétaire.
Les facteurs expliquant ce revirement historique sont multiples. Les achats d’or ont progressivement fait leur retour dans les années 2010, après la crise financière. La crise de 2008 a probablement réaffirmé la nécessité de recourir à des actifs stables et reconnu par toutes les institutions. L’intensification des achats d’or est aussi à l’image du plafonnement de la mondialisation, ce qui donne lieu à des orientations monétaires tournées vers l’indépendance. L’arrivée de Trump en 2016 a par exemple favorisé la volonté de beaucoup de pays d’éviter le dollar, stratégie encore réaffirmée avec la guerre en Ukraine.
Une autre explication du retour massif de l’or est l’augmentation considérable du bilan des banques centrales. Ces dernières années, les banques centrales ont acheté une quantité considérable d’actifs, essentiellement des obligations d’Etat. Les banques centrales achèteraient ainsi de l’or pour « ajuster » leur bilan face aux achats massifs de ces dernières années, afin de conserver une part plus ou moins constante d’or. Une dernière explication serait l’instabilité de la valeur des actifs dans le bilan des banques centrales. L’or apparaît comme un actif stable, capable d’assurer la sécurité et la durabilité du bilan d’une autorité monétaire.
Par La rédaction Godot & Fils
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